Interview de Belkacem Lounes

Interview de Belkacem Lounes, Président du CMA(Congré Mondial Amazigh) au journal Marocain Almichaal

  1. Pour quelles raisons avez-vous écrit au roi du Maroc ?

    Notre objectif est que l'Etat du Maroc assume pleinement son amazighité (histoire, civilisation, culture et langue) et que cela se traduise par sa reconnaissance dans la Constitution du pays et ensuite par son institutionnalisation à tous les niveaux de l'administration, de l'école, des médias publics, etc. Or il est notoire qu'au Maroc, le roi est l'autorité suprême du pays, disposant de très larges pouvoirs constitutionnels. L'article 19 de la Constitution prévoit que le roi " est le protecteur des droits et libertés des citoyens, groupes sociaux et collectivités" et l'article 103 notamment, précise ses larges prérogatives. Le gouvernement et son administration qui expriment et pratiquent tous les jours leur amazighophobie, ne peuvent être considérés comme des instances crédibles. Par conséquent, le roi reste à nos yeux, la seule autorité capable d'assumer ses responsabilités et de donner une suite favorable aux attentes des Amazighs. D'autant plus que l'expérience nous enseigne que "la question amazighe" au Maroc relève exclusivement du Palais, depuis l'époque de Hassan-II.

  2. Est-ce que réellement la langue, la culture et l'identité amazighes sont arrivés à un tel niveau de danger qui justifie l'appel au roi et l'intervention des Nations Unies ?

    Lisez notre rapport aux Nations Unies et vous constaterez la situation effrayante des Amazighs du Maroc, dans tous les domaines de la vie courante. Quelques exemples suffisent pour montrer que les Amazighs dans ce pays sont considérés comme des sous-citoyens, comme au temps de la colonisation française : Ils n'ont même pas la liberté de donner le nom de leurs ancêtres à leurs enfants, ils n'ont pas le droit de s'exprimer en Tamazight dans les tribunaux et n'ont pas droit à un traducteur assermenté alors que celui-ci est prévu pour les étrangers, ils n'y a aucune chaine de TV amazighe alors qu'il y en a 4 en arabe, leur histoire est falsifiée, leur langue et leur culture sont méprisées par et dans les institutions publiques, notamment à la TV et à l'école, tous les efforts de l'Etat et des sommes faramineuses sont consacrés à la promotion de l'arabité et de l'arabisation, l'Etat se réfère toujours aux lois coloniales françaises pour les déposséder de leurs terres, l'exploitation des mines sur leurs territoires ne leur laisse que la pollution et l'assèchement de leurs rivières, les régions amazighes sont appauvries et marginalisées sur le plan socioéconomique, sans compter les intimidations, les brimades et le mépris quotidiens vis-à-vis de tout ce qui est amazigh, qualifié péjorativement de "chelha". Il y a là une réelle et imminente menace de mort qui pèse sur le peuple amazigh du Maroc et cette situation nécessite au moins, que l'on sonne l'alarme tant au niveau national qu'au niveau des instances internationales et de toutes les places publiques de la planète.

  3. Est-ce que la langue, la culture et l'identité amazighes connaissent une crise seulement au Maroc ou bien également dans les autres Etats arabes d'Afrique du Nord ? Avez-vous écrit aussi à Bouteflika qui connaît lui, une réelle crise avec les kabyles ?

    La langue, la culture et l'identité amazighes sont confrontées à peu de choses près, au même déni et à la même politique d'éradication par, comme vous dites, les "Etats arabes" d'Afrique du Nord, étant entendu que ce sont les gouvernements qui sont arabes et panarabistes et non pas les pays qui eux, sont amazighs. En Algérie, nous ne comptons pas écrire au chef de l'Etat, tant que les gendarmes et les commanditaires responsables des crimes commis durant le printemps noir de l'année 2001 en Kabylie (126 morts et plus de 5000 blessés) n'ont pas été jugés et condamnés. En revanche, nous comptons nous adresser directement aux algérien-e-s à l'occasion de la prochaine réforme de la Constitution du pays, pour leur rappeler nos exigences concernant la reconnaissance et le respect de nos droits fondamentaux et des principes universels de démocratie et de modernité. Ce sont là nos conditions en tant qu'Amazighs pour pouvoir participer à la construction d'une Algérie que nous voulons plurielle et respectueuse de tous les droits humains.

  4. Avez-vous des statistiques qui indiquent que la proportion des Amazighs au Maroc dépasse celle des Arabes ?

    Les résultats du recensement de la population effectué en 2004, indiquent que 27,8% des marocains ne parlent que Tamazight et ce, malgré plusieurs siècles d'une arabisation acharnée. Et si on ajoute à ce chiffre les Amazighs qui parlent aussi d'autres langues et même ceux qui ont perdu l'usage de la langue amazighe mais qui se considèrent Amazighs, alors ce chiffre devrait être multiplié au moins par trois. C'est ce que le gouvernement marocain lui-même a reconnu en écrivant dans son site internet -www.maroc.ma- que " 75% des habitants du Maroc sont des Amazighs et 25% des Arabes ". Mais dès que la presse notamment amazighe a relayé cette information, ces chiffres ont aussitôt disparu du site. Pourquoi cette disparition de la vérité ? pourquoi la cacher ? Tout simplement parce qu'elle confirme ce que le mouvement amazigh et les spécialistes en la matière ne cessent d'affirmer depuis longtemps et surtout pour éviter la prise de conscience que la majorité amazighe est dominée par la minorité arabe qui monopolise les pouvoirs politique et économique et impose sa langue, sa culture, son idéologie, etc

  5. Ne croyez-vous pas que la création de l'Etat de Tamazgha conduirait à la balkanisation de la nation arabe ?

    Tout d'abord, je redis clairement que notre pays Tamazgha (Afrique du Nord) ne fait pas partie du "monde arabe" ou de la "nation arabe", ni géographiquement, ni culturellement, ni linguistiquement, ni sociologiquement, ni économiquement. D'ailleurs, les vrais arabes du Moyen Orient ne considèrent pas les arabophones d'Afrique du Nord comme des Arabes. Ensuite, disons que l'idéal serait de revenir à Tamazgha avec tout ce que cela implique en matière de reconnaissance et d'institutionnalisation de l'amazighité, avec une organisation administrative des territoires sous une forme fédérale. La première étape serait d'aller vers l'instauration progressive des "Etats-Unis d'Afrique du Nord", sur le modèle de l'Union Européenne. Les peuples sont prêts, il manque seulement la volonté politique des gouvernements. A propos, je rappelle l'aberrante et injuste fermeture de la frontière algéro-marocaine. A qui profite t-elle ? Pas aux peuples de cette région, j'en suis sûr ! Quant à la prétendue balkanisation de l'Afrique du Nord, ce n'est qu'un épouvantail agité par les tenants de l'ordre dominant pour faire peur et maintenir leur pouvoir absolu. A chaque fois qu'un peuple cherche à se libérer, les tenants de l'ordre établi tentent de provoquer les peurs par l'instauration de la confusion, des amalgames et de la division. En réalité, chacun sait mais feint de l'ignorer, que notre projet est résolument un projet d'amitié et de paix. En revanche, il est certain que ce sont les violations des droits et des libertés qui vont pousser un jour ou l'autre, les gens à se révolter. Cette vérité est universelle et les pouvoirs en place n'ont pas intérêt à l'oublier.

  6. Le respect de l'identité et des droits économiques, sociaux et culturels des Amazighs passe t-il nécessairement par un Etat fédéral et l'autonomie des régions ?

    Après plus d'un demi-siècle d'une indépendance confisquée, les Amazighs du Maroc se rendent compte qu'ils sont toujours colonisés politiquement, économiquement, linguistiquement et culturellement. Leur seule chance de survie exige qu'ils prennent leur destin en main conformément au droit international qui préconise "le droit des peuples et des nations à disposer d'eux-mêmes et en vertu de ce droit, ils déterminent librement leur statut politique et assurent librement leur développement économique, social et culturel". Par ailleurs, le fédéralisme et les autonomies régionales constituent une organisation moderne de l'Etat qui a fait ses preuves ailleurs, assurant la stabilité et la prospérité des peuples. Je mets en garde les pyromanes de tous bords qui manipulent les concepts en parlant d'atteinte à l'unité nationale, et qui tentent de dresser les uns contre les autres dans le seul but de maintenir leurs pouvoirs et leurs privilèges exorbitants.

  7. Dans le cas où le roi ne donnerait pas suite à vos revendications, que comptez-vous faire ?

Très sincèrement, j'ai beaucoup de mal à imaginer que nous ne serons pas entendus. Mais si tel était le cas, chacun devra assumer ses responsabilités. En attendant, les revendications des imazighen du Maroc sont légitimes, réalistes et correspondent aux intérêts supérieurs du pays. Cela n'échappe certainement pas au roi qui a d'ailleurs enclenché le processus de réhabilitation de l'identité amazighe du Maroc en 2001. Ce que nous lui demandons aujourd'hui, c'est simplement de poursuivre et d'approfondir la même démarche et d'assurer une haute protection juridique à l'amazighité. Je suis personnellement très optimiste concernant les suites favorables à nos principales revendications, d'autant plus qu'elles bénéficient désormais du soutien des Nations Unies



09/02/2009
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